Le 6 juin 1942, un jeune homme se présente au commissariat de Cenon : il vient « toucher l’étoile des Juifs », qui vient de devenir obligatoire. Le local est étroit et sombre, il sent l’encaustique, la sueur, le tabac froid. Le secrétaire de police fait entrer le jeune homme dans le bureau du commissaire, à l’abri des oreilles indiscrètes.
Abraham Stolpner tient une station service et gonflage de pneus, avenue Thiers à Bordeaux. S’il porte l’étoile il perdra son travail, sans parler du risque d’être arrêté, et de la honte d’être marqué.
Dans les années 20, les frères Stolpner, Woulf et Joël, l’oncle et le père d’Abraham, de Tsipa et Rachel, ont fui les pogroms avec leur famille, espérant que la France les accueille.
Tsipa et Rachel, les deux sœurs d’Abraham, nées à Tchernigov en Ukraine, sont russes. Mozès, le mari de Tsipa, est polonais, Bernard, celui de Rachel, est roumain, même si Chrzanów, sa ville de naissance en Galicie, est devenue polonaise par les hasards des guerres.
La famille Stolpner vient de cette vaste région d’Europe de l’Est où les Juifs ont vécu des siècles, le Yiddishland. Elle a été déchiquetée par les deux guerres mondiales, plusieurs guerres civiles, la révolution russe, l’Holodomor stalinien, le nazisme, les pogroms. L’empire austro-hongrois a éclaté, la Pologne a été dépecée, l’Ukraine a été brièvement indépendante avant de redevenir russe, ou soviétique.
Le secrétaire de police de ce petit commissariat fait prévenir Abraham Stolpner, qui échappe ainsi aux rafles. Hélas, ses deux soeurs, Rachel et Tsipa, sont raflées le 18 juillet 1942. Elles ne reviendront pas.

Après l’arrestation de ses sœurs et de leurs maris, Abraham Stolpner aide à cacher ses neveux et nièces, avant leur exfiltration en zone Sud avec l’aide du grand rabbin Cohen et d’une résistante.

En 1945, Abraham témoigne en faveur du policier qui l’a protégé et sauvé :
« Je le connais depuis que, secrétaire au commissariat de Cenon, il me remit l’étoile des Juifs, puisque je le suis. Je ne le connais surtout que pour les services qu’il m’a bien souvent rendus. Pendant l’occupation, les Juifs étaient tenus de ne pas sortir avant six heures, et d’être rentrés le soir avant vingt heures, et devaient toujours être porteurs en public de l’étoile jaune. »
« Je n’ai jamais porté l’étoile, dit Stolpner, et ce policier s’était mis d’accord avec moi pour me prévenir chaque fois que les Allemands allaient faire un contrôle à notre domicile. Je n’ai jamais été pris en défaut. »
Le destin tragique de ce policier, infiltré à la Gestapo sur ordre de la Résistance, est retracé dans Le nid de guêpes de la Gestapo, la troisième partie de Nuit et Brouillard aux bords de la Garonne.
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